Confessions

Une vie d'angoisse

Schopenhauer a été toute sa vie ravagé par l'angoisse. Il confia ces notes à son cahier secret.

« La nature a fait plus qu'il n’en faut pour isoler mon cœur, le dotant de méfiance, d’irascibilité, de véhémence et de fierté dans une mesure presque incompatible avec la mens aequa du philosophe. je tiens de mon père une angoisse que je maudis et combats de toutes mes forces : cette angoisse s'empare de moi parfois pour un rien avec une telle brutalité que je vois comme chose réalisée, une catastrophe simplement possible, voire à peine pensable.

« Une imagination terrible fait parfois prendre à cette disposition une dimension incroyable. Je n'avais que six ans lorsqu'en revenant d'une promenade, mes parents me trouvèrent un soir plongé dans le plus profond désespoir parce que je m'étais, tout à coup, senti abandonné d'eux pour toujours. Adolescent, j’ai été tourmenté par des maladies et des querelles imaginaires. A l’époque de mes études à Berlin, je fus un temps persuadé que j'étais phtisique. Au début de la guerre, en 1813, j'ai eu peur d'être obligé d’accomplir un service militaire. La peur de la variole me chassa de Naples, celle du choléra de Berlin.

« A Vérone, j'ai été envahi par l'idée fixe d'avoir pris du tabac a priser empoisonné. Au moment où j'allais quitter Mannheint (en juillet 1833), j'ai’ été, sans raison objective, saisi d'une indicible angoisse. Des années durant, j'ai vécu dans la peur d'un procès criminel à cause de l'affaire berlinoise [...], dans la peur de perdre ma fortune et dans la peur de voir remis en question, par ma mère le partage successoral. Quand survenait un bruit un bruit au cours de la nuit, je sortais du lit et prenais une épée, ainsi qu'un pistolet que je maintenais constamment chargé. Même quand ne se produit aucun événement marquant particulier, je porte en moi une constante inquiétude intérieure qui me fait voir et chercher des dangers là où il n'en existe pas. Cette inquiétude fait grossir à l'infini la moindre contrariété et finit par compliquer le commerce avec autrui. » [1]


[1] Cité par Rüdiger Safranski, Schopenhauer et les années folles de la philosophie, PUF, 1990