Nunc stans

Le présent et le néant

 Aucun homme n’a vécu dans le passé et aucun ne vivra dans l’avenir ; le présent seul est la forme de toute vie, mais celle-ci est alors ce qu’il possède de façon sûre et que personne ne peut lui ôter. Le présent est toujours là, ainsi que son contenu : tous deux se tiennent fermement, sans défaillance, comme l’arc-en-ciel sur la chute d’eau. Car la vie est sûre et certaine pour la volonté, comme le présent l’est pour la vie » (Le monde comme volonté et comme représentation, § 54).

Schopenhauer donne au présent un nom emprunté à la scolastique médiévale : « Nunc stans », « le présent constant » ou encore « l’éternel maintenant ». « Le nunc stans est au centre de la roue du temps ». C’est notre mode d’appréhension qui découpe le nunc stans intemporel en succession d’instants. L’être en soi des choses demeure immobile dans un présent dont il est également dit en un sens métaphysique : « La source et le porteur de son contenu est la volonté de vie, ou la chose en soi — que nous sommes. »

« Ce qui nous rend inévitablement ridicules, c’est le sérieux avec lequel nous traitons le présent qui porte en lui une apparence nécessaire d’importance. Sans doute seul un petit nombre de grands esprits l’on surmonté pour se transformer de personnes ridicules en personnes amusées ». (Cahiers manuscrits)


Le néant

« Imagine-t-on un démon créateur, on serait pourtant en droit de lui crier en lui montrant sa création : " Comment as-tu osé interrompre le repas sacré du néant, pour faire surgir une telle masse de malheur et d'angoisses ? » (Aus A. Schopenhauer's handschriftlichen Nachlass, Leipzig, 1854)

« A considérer la vie sous l'aspect de sa valeur objective, il est au moins douteux qu'elle soit préférable au néant ; et je dirais même que si l'expérience et la réflexion pouvaient se faire entendre, c'est en faveur du néant qu'elles élèveraient la voix. Si l'on frappait à la pierre des tombeaux, pour demander aux morts s'ils veulent ressusciter, ils secoueraient la tête. Telle est aussi l'opinion de Socrate dans l'apologie de Platon, et même l'aimable et gai Voltaire ne peut s'empêcher de dire : " On aime la vie mais le néant ne laisse pas d'avoir du bon " et encore : " Je ne sais pas ce que c'est que la vie éternelle, mais celle-ci est une mauvaise plaisanterie. » (Le monde comme volonté et comme représentation)

« Quand nous regardons loin devant nous dans l’avenir et que nous essayons de nous représenter les générations futures, avec leurs millions d’individus, et la forme encore inconnue de leurs mœurs, de leurs ambitions, mais qu’alors une question nous interrompt : D'où seront-ils venus tous ceux-là, et où sont-ils à présent? Où est donc la féconde matrice de ce néant gravide de mondes, qui cache encore les générations à venir? À cette question la vraie et souriante réponse ne serait-elle pas : Où pourrait-il donc bien être sinon là et seulement là où le réel a toujours été et sera, dans le présent et dans ce qui le constitue, et donc en toi, l’étourdi qui demande et que son ignorance de lui-même fait ressembler à la feuille de l’arbre, qui se voit jaunir à l’automne, est tout près de tomber, et se lamente sur sa fin prochaine et au lieu de trouver consolation en songeant à la fraîche verdure qui au printemps reviendra habiller l'arbre continue à se plaindre : Ce n’est pas moi, ça! Ce sont d’autres feuilles! Ô feuille imbécile! Où penses-tu aller? Et d’où crois-tu que viennent les autres? Où est donc ce néant dont tu redoutes tant le gouffre? Reconnais donc qui tu es, cela justement, qui est si rempli de la soif de vivre, reconnais-le dans la forme intime, secrète et puissance de l’arbre, la seule et la même durant toute les générations de feuilles, insensible aux naissances et aux morts. » (Le monde comme volonté)