Autobiographie

Notices autobiographiques

Notes et Fragments...

En 1853 à l’âge de soixante-trois ans, le philosophe envoie à la rédaction du Meyer’s Konversations-Lexicon, une « notice sur sa vie » pour y être publiée. C’est donc en ces termes qu’il souhaite se faire connaître du grand public :

 Je suis né à Danzig le 22 février 1788. Mon père, Heinrich Floris Schopenhauer, était un commerçant très aisé de cette ville, et ma mère, Johanna Schopenhauer, devint plus tard célèbre par ses écrits. J’ai fait mes études universitaires de 1809 à 1813 à Göttingen et à Berlin ; à l’université de Berlin, le professeur était Fichte, à celle de Göttingen, G. E. Schulze Aenesidemus. J’ai remis pour ma promotion l’essai sur La quadruple racine du principe de raison suffisante, dont la deuxième édition, très largement corrigée, a paru en 1847, ici, à Francfort. Après avoir passé l’hiver 1813-1814 à Weimar et dans le cercle familier de Goethe, je partis à Dresde, où j’ai vécu indépendant jusqu’à la fin de 1818, en profitant de la Bibliothèque et des collections d’art. En 1816 parut mon écrit Sur la vue et les couleurs, et à la fin de 1818 mon œuvre principale, Le monde comme volonté et comme représentation, qui fait aujourd’hui encore le premier volume du livre ! Après l’avoir remise à l’éditeur, j’entrepris un voyage en Italie, qui me conduisit jusqu’après Naples.

« A mon retour, je soutins ma thèse de doctorat et devins maître de conférence à l’université de Berlin, où je n’exerçai toutefois que durant le premier semestre, bien que je sois resté jusqu’en 1831, en décomptant les années d’absence, inscrit sur la liste des cours. A cette époque, l’Hegeliânerie [1] faisait plus que jamais florès. En 1822, je fis un nouveau voyage en Suisse et en Italie et ne revins à Berlin qu’en 1825. J’y ai travaillé jusqu’en 1830 à une version latine et corrigée de ma Théorie des couleurs, que j’avais auparavant fait paraître en allemand, et qui, dès lors, sous le titre Theoria colorum physiologica, eademque primaria, prit place dans le troisième volume des Scriptores ophthalmologici minores édités par Justus Radius. Lorsqu’en 1831 le choléra atteignit pour la première fois l’Allemagne, je me repliai provisoirement jusqu’ici, à Francfort. Comme l’endroit fut en effet épargné et que le climat et les commodités qu’on y trouve me plaisent, j’y suis resté et y ai vécu en étranger indépendant voici maintenant vingt et un ans. En 1836, j’ai fait paraître ici mon petit écrit Sur la volonté dans la nature, auquel j’attache une valeur très particulière, car c’est là que le cœur intime de ma métaphysique est exposé de la façon la plus fondamentale et la plus précise.

« Peu de temps après, j’ai répondu à deux questions mises au concours, sur la morale, l’une de l’Académie des sciences norvégiennes, l’autre du Danemark. Seule la première a été couronnée et les deux réunies ont paru ici en 1841 sous le titre Les deux problèmes fondamentaux de l’éthique. Enfin, en 1844, j’ai fait paraître la deuxième édition de mon œuvre principale, augmentée du double et en deux volumes [en 1851 paraissent encore les Parerga et Paralipomena, également en deux volumes].

« J’ai eu la chance de passer ma vie en toute indépendance et dans la jouissance complète de mon temps et de mes forces, comme mes études multiples, ainsi que l’élasticité et la liberté d’esprit requises par mes œuvres l’exigeaient. »

Francfort-sur-le-Main, le 28 mai 1858, Arthur Schopenhauer


[Dans un autre fragment autobiographique, le philosophe jette un regard en arrière sur sa vie et fait le départ de ce qu'elle contenait d'essentiel et d'accidentel] :

«  Quand parfois je suis tenté d'être mécontent de mon sort, je me dis quelle chose importante c'est pour un homme comme moi de pouvoir consacrer toute son existence à cultiver ses dons naturels et à poursuivre la tâche qui lui a été dévolue à sa naissance. Il y avait plus de mille à parier contre un que cela ne fût pas possible et que ma carrière fût manquée. Dans les rares moments où je me croyais malheureux, c'était, pour ainsi dire, par suite d'une méprise, d'une erreur de personne. Je me prenais pour un autre, par exemple pour un professeur libre qui ne peut obtenir une chaire et qui n'a pas d'auditeurs, ou pour un original livré en pâture à la médisance des philistins et au caquetage des commères, ou pour un amoureux éconduit par sa belle, ou pour un malade cloué sur son fauteuil, ou pour telle ou telle autre personne affligée de pareille misère. Tout cela, ce n'était pas moi, c'était tout au plus l'étoffe dont était fait le vêtement que je portais alors et que je changeais l'instant d'après pour un autre. Mais qui suis-je donc ? Je suis celui qui a écrit le Monde comme volonté et comme représentation, et qui a donné du grand problème de l'existence une solution qui remplacera peut-être les solutions antérieures et en tout cas occupera les penseurs des siècles à venir. [2] »


Notes :

[1] Allusion ironique à la philosophie de Hegel très en vogue à cette époque.
[2] Grisebach, Schopenhauers Gespräche und Selbstgesprüche, p. 108